"L'atterrissage" de St Pierre Halte

Le cas de St Pierre Halte est peut-être le plus connu des ufologues Calaisiens. C'est en tous cas celui qui a été spontanément cité lors d'une conférence de Jean-Claude Bourret à Calais. Mais son importance a été largement exagéré, puisque l'objet mystérieux n'a été vu qu'un bref instant par un témoin qui ne l'a vu ni atterrir, ni décoller.

La source initiale est le journal local, à savoir Nord Littoral. Un journal qui se montra particulièrement bavard sur les "soucoupes volantes" cet automne là.


(Nord Littoral, 15 octobre 1954, p. 2)

le Parisien

L'information donnée par Nord Littoral est ensuite reprise, via une agence de presse, par divers journaux, dont quelques journaux Parisiens, dont l'un sera utilisé par Aimé Michel pour son libre Mystérieux Objets célestes, où il déformera complètement le déroulement de l'observation.
Nous savons en particulier, que l'histoire a été reprise par La Croix, et par Le Parisien libéré, tous deux du 16 octobre, ainsi que, pour la région du Nord, par Nord Matin et par Le Journal du Pas de Calais et de la Somme, du même jour.
L'intéressant est de savoir ce qu'a bien pu raconter la presse parisienne, celle qu'a consulté Aimé Michel. Voici, ci contre, ce qu'a publié Le Parisien libéré du 16 octobre.

Et ci dessous, ce qu'a publié Aimé Michel.

Le vendredi 15, on note seulement sept ou huit observations, toutes nocturnes (sauf une)...
  A 3 h 40 du matin, un boulanger de la banlieue sud de Calais, sur la Manche, sort de son fournil pour prendre le frais, comme font tous les boulangers du monde. Il aperçoit alors une sorte d'engin lumineux, de couleur jaune, qui descend rapidement et se pose sur la voie ferrée non loin de la nationale 43, près du lieu dit « Saint-Pierre-Halte ». L'objet ressemble à un champignon et mesure, selon le témoin, Quatre mètres de diamètre et deux mètres de haut. Il s'envole bientôt et disparait.

(Aimé Michel, Mystérieux Objets Célestes, Arthaud 1958, p 304)

En comparant avec l'article de Nord Littoral, on voit qu'il n'y a quasiment rien de vrai dans ce que raconte Aimé Michel, et malheureusement c'est le texte d'Aimé Michel, et non celui de Nord Littoral, que les ufologues recopieront plus tard.
Aimé Michel ne donne pas sa source. Jacques Vallée qui reprendra ses informations, donne en plus comme source La Croix, du 16 octobre, que nous n'avons pas pu consulter.

Des enquêtes introuvables

dessin Lagarde
Il aurait évidemment été intéressant d'enquéter sur cette affaire. Or, entre 1954 et 1979, M. Thery, selon ses propres dires, aurait eu la visite de deux enquêteurs. Malheureusement, on n'a guère trouvé de trace de leurs enquêtes. On sait seulement qu'un M. Derosse aurait pris une photo des lieux, utilisée ensuite par Fernand Lagarde pour en faire un dessin au trait, probablement grace à une "chambre claire".
A l'examen, il semble bien que M. Derosse ait sacrifié au rituel des enquéteurs, consistant à représenter les lieux dans la perspective opposée à celle que voyait le témoin (et à la limite, d'y représenter le témoin lui même).
Ici la photo est prise depuis le bord de la voie, vers la nationale 43, alors que le témoin roulait sur la nationale 43, voyait la scène dans l'autre sens, et l'objet beaucoup plus loin.
Aux renseignements faux, donnés par Aimé Michel, et qu'aurait pu corriger l'enquête, va maintenant s'ajouter une représentation fausse.
C'est malheureusement le quotidien de l'ufologie.

Les ufologues jouent au moine copiste

Aimé Michel étant une autorité pour le petit monde ufologique, c'est sa version, qui va être recopiée. Le premier à la recopier, est Jacques Vallée, dans son catalogie Un siècle d'atterrissages, publié d'abord dans la revue Lumières dans la nuit (N° 103, pour ce cas), puis à la suite de son livre Chroniques des apparitions extra-terrestres ( infâme traduction de "Passport to magonia" ).

et voici ce que ça donne.

263) 15 octobre 1954, 03h40. Saint-Pierre-Halte (France):

  Un boulanger a vu un engin jaune et brillant descendre rapidement et atterrir sur la voie ferrée. La forme de l'objet était celle d'un champignon, ayant environ 4 mètres de diamètre et 2 mètres de haut. (P. 62, M. 180).

(Jacques Vallée, Chroniques des apparitions extra-terrestres, Denoël 1972, p 304)

(P. 62 renvoie à La Croix du 16 octobre, et M. 180 au texte d'Aimé Michel). Avec ce texte, figure le dessin que nous venons de voir. L'histoire vient de se stabiliser dans une version simplifié: le boulanger a vu l'objet atterrir sur la voie, devant le quai de la halte, mais ne l'a pas vu décoller.
Après Vallée viendra la meute des ufologues moines copistes, dont la lecture ne nous apprend rien, mais qu'on peut consulter sur le site de Patrick Gross.

Les révélations de notre enquête.

Un peu plus de 22 ans après, nous avons pu retrouver le témoin. Voici la Transcription de notre enquête.

Cas de St Pierre Halte

témoin: d'après Nord Littoral du 15-10-54: M. Elie Thery, 43 ans route de St Omer au Virval.
travaillait comme garçon boulanger chez Mme Quartier dont le magasin se trouvait ancienne route de Gravelines.

Je suis allé chez le témoin à l'adresse indiquée le samedi 22 janvier 1977 à 11H 40
Il s'agit de M. Elie Thiery, aujourd'hui retraité et agé de 74 ans il avait donc en fait 51 ans ou 52 ans à l'époque et travaillait bien comme garçon boulanger chez M. et Mme Quartier, tous deux morts aujourd'hui. M. Thiery ne croyait pas aux soucoupes volantes et ne s'y intéresse pas plus maintenant qu'autrefois.
Il déclare qu'en passant donc près de la station de St Pierre Halte, il a vu une lumière posée au sol, un objet lumineux bleuatre avec de toutes les couleurs des irisations multicolores sans clarté. Il ne s'est pas arrété et n'a pas dit que c'était une soucoupe volante. Mais en en parlant à son patron à son arrivée, celui ci aussitôt pensé à une soucoupe volante et prévenu le journal Nord Littoral. M. Thiery venait à peine de terminer son travail que M. Robert Lassus, de Nord Litttoral, venait le chercher pour retourner sur les lieux, il garda son vètement de boulanger mis son manteau, et ils retournèrent sur les lieux ou M. Lassus photographia M. Thiery. Mais il n'y avait aucune traces. l'article est paru le lendemain dans le journal le 15-10 donc les faits se sont déroulés le 14-10.
Quelques jours après dans un café, il a rencontré un ouvrier de l'usine DELAIRE (produits pharmaceutiques camphrés) qui lui a dit que le même jour que lui à 3H 30 un de ses camarades aurait vu la même chose que lui sur la voie ferrée, du lieu dit "le Pont de fer", sur la route de Guines, en regardant vers St Pierre Halte.

On est venu enquêter chez lui il y a longtemps.
Une fois des enquêteurs sont venus à 2 pour l'interroger.

Visite sur les lieux: la station de St Pierre Halte donne sur la route. le centre du batiment se trouve à environ 10 m de l'axe de la route vers Coulogne. le quai commence une vingtaine de mètres après l'axe de la route.

Dans le journal le témoin disait 50 m, mais la nuit on doit se tromper facilement sur les distances surtout si l'observation dure peu de temps.

(transcription faite le 05/02/2020)

ANALYSE


En 2020, le paysage a bien changé et la halte, qui n'était manifestement prévue que pour des autorails, a disparu, ainsi que les poteaux téléphoniques. Mais la voie de chemin de fer, qui a été électrifiée, est toujours là, et nous pouvons voir la voie ferrée, à peu près comme M. Thery pouvait la voir, sauf la présence d'une palissade, qui gène la vue sur la droite, en sorte que sans elle, M. Thery pouvait voir légèrement plus loin.


plan 1977

plan 2020

Cependant l'examen du plan montre que, sur la gauche, la vue était génée par des maisons, en sorte que M. Thery n'a pu voir l'objet que sur moins d'une vingtaine de mêtres. En supposant qu'il roulait à environ 10 m/s, cela lui a donné moins de 2 secondes pour voir l'objet, sur la voie. Et encore, il fallait qu'il regarde devant lui aussi pendant qu'il roulait, en sorte qu'il n'a plutôt disposé que d'une seconde pour voir l'objet. Un objet d'un jaune très brillant selon le journal, qui dit aussi que M. Thery avait 43 ans, alors qu'il en avait bien 51. Un journal qui aurait bien voulu que l'objet soit une soucoupe volante.
Dans ces conditions, nous remarquons plutôt que M. Thery nous a parlé d'un objet bleuâtre, avec des irisations multicolores, sans clarté.
Mais surtout, il y aurait eu un deuxième témoin, dont nous ignorons tout, sauf qu'il aurait vu le même objet depuis "le pont de fer", c'est à dire de l'autre coté de l'objet, près du canal.

ponceau
Or depuis "le pont de fer" la voie est rectiligne jusqu'à un ponceau sur un bras du canal, puis la voie s'incurve, en sorte qu'un objet au niveau de la halte ne serait plus visible. Nous pouvons en déduire que pour être visible, à la fois du "pont de fer" et du P.N., l'objet devait se trouver à l'entrée de la courbe depuis "le pont de fer", à peu près au niveau du ponceau.
Cet endroit est il visible depuis le P.N. ? L'électrification de la voie va nous aider à le savoir.
En effet, sur la photo actuelle, on peut compter les supports de caténaires visibles depuis le P.N. Le dernier visible, est le sixième. Or sur la photo a haute résolution disponible sur Géoportail, on voit que le sixième support, visible par son ombre, se situe juste à coté du ponceau. S'il n'y avait pas la palissade (et si la végétation était moins dense, comme elle l'était à l'époque d'après les photos de l'IGN), nous pourrions voir jusqu'au ponceau. Nous pouvons en déduire que l'objet était bien au niveau du ponceau, c'est à dire à 180 mètres de M. Thery.
Estimer la distance à 50 mètres au lieu de 180 est une erreur très courante chez le témoin moyen, surtout la nuit et en roulant. Alors que placer l'objet devant la halte, comme l'a fait Fernand Lagarde, l'aurait mis à environ 35 mètres du témoin, et surtout, rendu invisible du "pont de fer". Nous pouvons donc conclure que c'est bien au niveau du ponceau que se situait l'objet.
Maintenant quel pouvait bien être cet objet? Une lueur bleuâtre, avec des irisations, cela nous évoque des travaux de soudure.
Relisons donc cette anecdote humoristique, publiée dans La Voix du Nord.

Il était Lillois. Il avait vu la chose (il était précis) à l'intersection de la rue Nationale et de la rue de Pas, à Lille. La chose avait des roues et des sortes d'antennes. Quant aux occupants...
  - Ils étaient plusieurs?
  - Au moins trente!
  Tout saisi, je le dévisageai. Il avait l'air sain d'esprit, mais il paraissait encore sous le coup d'une très vive commotion.
  - Que faisaient ils?
  - Ils devaient être en panne et réparaient hativement. Ils avaient posé des sortes de traverses, des rails...
  - Vous les avez vus? Comment étaient ils?
  - Ils avaient des sortes de combinaison. Plusieurs se penchaient sur les pavés. Ils portaient une sorte de scaphandre grillagé d'où se dégageait une phosphorescence, avec des crépitements...
...
  - Dites donc, votre aventure s'est déroulé à l'endroit exact où des équipes de la T.E.L.H. changent en ce moment une ligne de tramway!
  Il réfléchit une seconde, puis, décontenancé, reconnut: « Oui... peut-être bien... Oui, c'est dans ce coin là... »

(La Voix du Nord, 16 septembre 1954, p. 3)

Et voila! Cette anecdote nous donne la solution: Le 14 octobre, vers 3 H 30, des travaux ont été effectués nuitamment sur la voie, pour ne pas géner le trafic.
Mais un témoin passait à cette heure là, pour se rendre à son travail
Et son patron croyait aux soucoupes volants
Et un journaliste s'est empressé de récupérer cette observation pour un en faire un engin mystérieux.
Et d'autres journalistes ont recopié le premier.
Et Aimé Michel en a fait un atterrissage de soucoupes volante le 15 octobre, et l'a aligné avec quatre autres observations.
Et Jacques Vallée a repris cet atterrissage à Aimé Michel.
Et... etc.
Mais non, ce n'était pas le 15 octobre. Non, le témoin n'a jamais parlé de soucoupe volante. Non, il ne l'a pas vu atterrir. Non, ce n'était pas un engin mystérieux.
Mais si, la rumeur court toujours...

Dernière mise à jour: 13/03/2020

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